Chers lecteurs, c’est un destin tragique que nous avons choisi de vous partager dans le cadre du premier article d’une nouvelle série documentaire « Il était une fois, Cravent. », qui reviendra sur les événements ayant forgé la riche histoire de notre commune au fil des siècles.
L’histoire que nous consacrons à ce premier article est celle de Marcel Cogno, un jeune pilote originaire d’Alger, pionnier de l’aviation française, dont l’histoire allait à jamais être liée à celle des craventais. Elle intervient à un tournant décisif du siècle dernier, l’entre-deux-guerres, alors que l’aviation française est en plein essor et que les pilotes d’essais repoussent constamment les limites du ciel.
Il était une fois Cravent… où, durant une calme après-midi d’été, allait survenir l’un des plus terribles accidents de l’aviation française des années 1930.
Un jeune algérien à la conquête du ciel…
Marcel Cogno naît le 27 octobre 1908, à Alger. Il est le fils de Jean, garçon limonadier né en 1884 à Constantine, et de Noélie Bourdieu, née en 1887 à Mustapha, une ancienne commune formant le 4e arrondissement du Grand Alger.
Élève assidu, Marcel obtient son certificat d’études primaires en 1921 à Constantine. Le jeune homme n’a alors qu’un rêve, celui de devenir aviateur. Dans les années qui suivent, il quitte le nord de l’Algérie et part s’installer dans l’hexagone.
Le 12 mars 1929, dans le 17ème arrondissement de Paris, il épouse Irène Prudon, une jeune bourguignonne née en 1911 à Dijon.
Dans les mois qui suivent, il prépare ardemment son brevet de pilote qu’il obtient le 15 janvier 1930. Devenu pilote d’essais, le jeune homme est titulaire des brevets de pilote militaire, de transport public et de pilotage sans visibilité. Il assure pendant quatre ans les fonctions de moniteur à la section d’entraînement de la base aérienne 104 Dugny-Le Bourget, située en région parisienne.
En février 1934, il entre à la maison Farman, une société de construction aéronautique fondée en 1908, où il se distingue par ses qualités professionnelles.
Désigné pour les essais en vol, il pilote alors tous les types d’avions Farman en service depuis le mois de juillet 1934.
Fig. 1 : Marcel Cogno posant devant un des avions de la maison Farman, circa 1935.
Repousser les frontières du ciel…
Nous arrivons finalement à l’année 1935. Marcel, alors âgé de 27 ans, ne cumule pas moins de 2.000 heures de vols. L’ancien sergent du 34ème régiment d’aviation du Bourget, que l’on qualifie d’excellent pilote, perpétue depuis plusieurs mois une multitude d’essais en vol pour la société Farman depuis l’aérodrome de Toussus-le-Noble, près de Versailles.
Depuis plus de deux ans, la société Farman travaille à l’étude et à la construction d’un avion stratosphérique des plus novateurs, le Farman F-1001. Équipé selon des dispositifs nouveaux lui permettant d’atteindre les plus hautes altitudes, le F-1001 a pour objectif de réaliser des expériences scientifiques jusqu’alors impraticables.
Fig. 2 : Essai du Farman F-1001 à Toussus-le-Noble (Agence Meurisse/BnF).
Le vendredi 2 août 1935, Marcel Cogno se porte volontaire pour la délicate mission de piloter cet avion expérimental unique en son genre. Les premiers essais sont concluants. Cogno atteint ce jour là l’altitude de 9.700 mètres à bord de son aéronef monoplace à cabine étanche.
Confiant après son premier essai du vendredi, le jeune homme décolle à nouveau le 5 août 1935 à 15h45 de l’aérodrome de Toussus-le-Noble pour un vol de réception de l’avion stratosphérique.
L’objectif de cette mission est périlleux : Cogno doit mener une ascension de 10.000 mètres et maintenir son aéronef une heure au dessus de cette altitude. Cette nouvelle randonnée aérienne est audacieuse. Cogno, comme une grande partie de ses pairs pilotes d’essai, en a bien conscience. Il sait qu’à tout moment, la mission peut virer au drame.
Comme au cours du précédent essai, les plus belles espérances semblent devoir se réaliser. Cogno, seul à bord du monoplan, ne semble pas rencontrer de difficultés.
Pourtant, ce lundi 5 août 1935, rien ne va se passer comme prévu.
Fig. 3 et 4 : 15h45 sur l’aérodrome de Toussus-le-Noble. Après une chaleureuse poignée de main échangée avec le constructeur du F.1001 Henri Farman, Marcel Cogno s’envole pour son dernier voyage vers la stratosphère.
L’accident…
Vers 17 heures, l’avion s’écrase violemment à trois kilomètres au nord de la commune de Cravent, dans un bois de la Harelle. Les quelques témoins qui ont assisté, impuissants, à ce drame, rapportent que l’avion paraissait livré à lui-même, comme si son pilote s’était évanoui.
Des cultivateurs, ayant vu l’appareil tournoyer dans le ciel, accourent alors immédiatement sur les lieux du crash, où tout espoir de sauver le pilote va s’avérer vain. Pris sous les décombres en flammes, Marcel Cogno est retrouvé mort, carbonisé à bord de la carlingue de son appareil. Aussitôt alertés, les gendarmes de Bonnières-sur-Seine viennent faire les constatations d’usage et assurent la garde des débris de l’appareil. L’identité de la victime, Marcel Cogno, est révélée par la découverte de documents que son porte-feuille en cuir a miraculeusement préservé.
Fig. 5 et 6 : Les débris de l’appareil, photographiés dans la nuit du 5 au 6 août 1935. Les gendarmes de Bonnières-sur-Seine, arrivés en fin d’après-midi, garderont le site toute la nuit.
L’enquête…
Très vite, on cherche à comprendre quelles furent les origines de l’accident.
Dans la soirée du 5 août, date de l’accident, Henri Farman accompagné de plusieurs ingénieurs et un représentant du ministère de l’air, se rendent sur le site du crash afin d’examiner les débris de l’appareil et identifier les causes de la catastrophe.
Il fut établie qu’après avoir heurté deux pommiers de pleins vent sur les branches desquelles se déchira l’entoilage des ailes, l’avion vint s’écraser contre les premiers arbres du bois. Le réservoir ayant explosé, l’appareil de Cogno prit feu et se transforma instantanément en un immense brasier. Les hélices et les roues de l’appareil furent projetées aux alentours, cassant des branches voisines et labourant le sol.
Le barographe, retrouvé sur le site de l’accident, montra que Cogno était bel et bien parvenu à atteindre les 10.000 mètres d’altitude. En revanche, une défaillance de l'une des fenêtres de la coupole, vraisemblablement liée à l’éclatement d’un hublot du poste de pilotage, aurait entraîné une décompression rapide de l’habitacle censé assurer l’étanchéité dans la stratosphère.
Cogno, ayant perdu connaissance, ne serait alors pas parvenu à relever le nez de l’appareil qui entama son inexorable chute. L’autopsie aurait également démontré que Cogno était décédé pendant le vol. Cette dernière rapporte qu’une hémorragie cérébrale, ainsi qu’une perforation des tympans liés à l’atmosphère raréfiée à laquelle il fut exposé, entraîna la mort du pilote.
Fig. 7 : Vue montrant le poste de pilotage du Farman F-1001. À gauche, le capot (ici relevé) assure l’étanchéité de l’appareil dans la stratosphère.
En haut à droite, Marcel Cogno pose aux côtés du constructeur Henri Farman.
La disparition d’un pilote d’exception…
Les événements du 5 août 1935 font rapidement le tour du pays. Le tragique accident cause à l’aviation française la perte d’un de ses meilleurs pilotes réceptionnaires et du seul appareil prototype qu’elle possédait pour expérimenter les vols à haute altitude.
Le 6 août 1935, le colonel Davet, représentant le général et ministre de l’air Denain, se rend à Cravent pour décorer le regretté pilote de la croix de la Légion d’Honneur. La levée du corps de Cogno a lieu le vendredi 9 août 1935, à 10h30, dans l’église de Cravent.
Le 12 août 1935, le corps de l’aviateur est transporté à bord du Gouverneur Général Chanzy, un paquebot français qui le rapatrie en Algérie. Le cortège se dirige ensuite vers Sétif où la dépouille de l’aviateur est inhumée.
Fig. 8, 9 et 10 : Les funérailles de Marcel Cogno, à Sétif en Algérie (Horace Gonzalès).
Les années passent, sans que la mémoire du défunt pilote ne soit oubliée. Le 7 février 1937, en présence de la famille Cogno, l’aéro-club de Sétif rebaptise un de ses avions, le Phalène F-AMKA Marcel Cogno, en hommage à l’aviateur franco-algérien.
Fig. 11 : Le Phalène baptisé Marcel Gogno, 7 février 1937 (Horace Gonzalès).
Par décret du 11 août 1955, Marcel Cogno est officiellement fait chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume.
Ainsi se termine cette douloureuse épopée du 5 août 1935. N’oublions jamais le courage de ces jeunes hommes, pionniers de l’aviation, pour qui le prix de la vie n’avait, sans doute, pas autant de valeur que celui du progrès de tout un pays.
Mattéo GROUARD
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Si vous possédez, chers lecteurs, des informations relatives à ces événements ou si vous avez connaissance d’une personne qui assista de près ou de loin à cet accident, nous serions très intéressé d’écouter votre témoignage.
Vous pouvez contacter l’APAC à tout moment, à l’adresse email suivante : contact@apac-cravent.fr, auprès de laquelle nous nous ferons un plaisir de vous répondre ou de vous apporter des renseignements supplémentaires.
Outils et ressources bibliographiques :
Bibliothèque nationale de France (BnF).
Archives nationales d’outre mer (ANOM).
L’Écho d’Alger, 10ème année, n° 3367, 14 juin 1921.
«L’avion laboratoire stratosphérique s’écrase au sol près de Bonnières après un vol d’essai», Le Matin, 52ème année, n° 18.765, 6 août 1935.
« Le seul avion stratosphérique que la France possédât s’est écrasé hier en flammes. Son pilote, Marcel Gogno, a péri carbonisé» et «L’accident de l’avion stratosphérique», Le Petit Parisien, 60ème année, n° 21.343, 6 août 1935.
«Un avion stratosphérique s’écrase à Cravent (Seine-et-Oise)», L’Intransigeant, 7 août 1935.
«La Croix à Marcel Cogno», Le Petit Marocain, 23ème année, n° 5730, 7 août 1935.
«Nos deuils : Marcel Cogno», Les Ailes, 15ème année, n° 738, 8 août 1935.
«Le tragique essaie d’un avion stratosphérique», L’indépendant des Basses-Pyrénées, 67ème année, n° 51.228, 8 août 1935.
«Aviation : La levée du corps de Marcel Gogno aura lieu demain matin», Le Figaro, 110ème année, n° 220, 8 août 1935.
«Les obsèques de Marcel Cogno», Les annales coloniales, 36ème année, n° 86, 14 août 1935.
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